Au cours des dernières années, la hausse des prix de l’épicerie a mis à rude épreuve les portefeuilles canadiens, devenant un sujet d’actualité fréquent. Quelles mesures le gouvernement prend-il pour remédier au manque de concurrence dans le secteur canadien de l’épicerie, et quelles seront les répercussions sur les propriétaires fonciers?
En juin 2023, la Chambre des communes a publié un rapport sur l’augmentation du coût des aliments au Canada.1 À la suite de ce rapport, en juillet 2023, le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») a publié une étude de marché reconnaissant que, entre autres facteurs, le secteur canadien de l’épicerie est saturé de grandes chaînes d’épicerie bien établies.2 Il existe des obstacles à l’entrée pour les petits épiciers et fournisseurs de services indépendants, ce qui entraîne un manque de concurrence. Le Bureau a demandé de prendre des mesures vigoureuses contre les comportements anticoncurrentiels et, en septembre 2023, le gouvernement a proposé la Loi sur le logement et l’épicerie à prix abordables (projet de loi C-56), qui comprend des modifications importantes à la Loi sur la concurrence du Canada (la « Loi ») et qui sont entrées en vigueur le 15 décembre 2023.
Les modifications ont des répercussions importantes sur la façon dont le Bureau traite les contrôles anticoncurrentiels des immeubles commerciaux. Cet article explore les types de contrôles de propriété visant des concurrents ciblés par la Loi, l’approche du Bureau en matière d’application de la Loi, ainsi que les justifications possibles et les recours à la disposition des propriétaires fonciers.
Contrôles de propriété
Les contrôles de propriété font référence aux clauses contractuelles et aux clauses restrictives qui restreignent la concurrence dans le secteur immobilier commercial. Les deux types visés sont les suivants :
1. Clauses d’exclusivité
Il existe des clauses dans les baux commerciaux qui empêchent les locateurs de louer de l’espace dans leur immeuble ou leur complexe aux concurrents d’un locataire existant. Les locateurs acceptent souvent de telles clauses parce qu’elles contribuent au succès du locataire et à sa capacité de s’acquitter de ses obligations locatives. De plus, le succès du locataire peut se traduire par un succès plus important pour l’immeuble ou le complexe du locateur.
Exemples :
Un bail commercial empêchant l’ouverture de plusieurs cliniques dentaires dans le même complexe, permet ainsi d’éviter une sursaturation dans la zone desservie.
Un grand café conclut un bail commercial avec un locateur et insiste pour inclure une clause qui empêche le locateur de louer des locaux à d’autres cafés (potentiellement plus petits) ou à d’autres locataires qui proposent des services de café dans le même complexe.
2. Clauses restrictives
Il s’agit de restrictions potentiellement de longue date inscrites sur le titre de propriété d’un immeuble, qui empêchent les futurs propriétaires ou exploitants de concurrencer les intérêts de l’ancien propriétaire ou du locataire principal. Les propriétaires d’immeubles acceptent souvent ces restrictions soit parce que, a) en tant que locateur, cela leur permet d’obtenir d’emblée un locataire solide, b) en tant qu’acheteur d’immeubles, la restriction n’a pas d’incidence négative sur ce qu’ils veulent faire du terrain, ou c) en tant que vendeur d’immeubles, ils veulent s’assurer qu’un concurrent ne s’installe pas derrière eux.
Exemples :
Un magasin-entrepôt vend sa propriété, mais comme condition de vente, impose une restriction sur la propriété qui empêche le nouveau propriétaire et les propriétaires ultérieurs de vendre les mêmes produits que ceux précédemment vendus par ledit magasin-entrepôt.
Une grande épicerie et ses sociétés affiliées possèdent et vendent plusieurs complexes voisins, inscrivant des clauses restrictives à l’égard des terrains, empêchant ainsi d’autres épiceries d’entrer dans la même zone de service.
Le problème : Le Bureau se concentre sur la nature anticoncurrentielle de ces contrôles, en particulier lorsqu’ils sont utilisés par des entreprises dominantes pour abuser de leur position sur le marché. Le Bureau examinera si ces contrôles visent à nuire à la concurrence ou s’ils ont pour effet concret de la réduire.
Approche en matière d’application de la Loi
Le Bureau a identifié plusieurs moyens de faire respecter ses objectifs qui se reflètent par les modifications suivantes apportées à la Loi :
1. Abus de position dominante : articles 78 et 79 de la Loi
Le Bureau a qualifié l’abus de position dominante sur le marché d’obstacle majeur à la concurrence. La position dominante implique une influence notable sur la concurrence, qui se traduit souvent par la part de marché ou la capacité de créer des barrières à l’entrée.
Le seuil pour établir un abus de position dominante exige que le Tribunal canadien de la concurrence (le « Tribunal ») conclue que :3
- une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions; et
- cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées :
- à la pratique d’agissements anticoncurrentiels; ou
- la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence (à condition que cet effet ne résulte pas d’une performance concurrentielle supérieure).4
Remarque : Avant les récentes modifications, les deux éléments en ii) devaient être satisfaits, ce qui constituait un critère beaucoup plus rigoureux.
Les modifications apportées à la Loi ont également permis d’élargir et de clarifier les questions suivantes.
i) Voici des exemples de ce qui constitue un agissement anticoncurrentiel :5
- Compression de la marge : la compression, par un fournisseur intégré verticalement, de la marge bénéficiaire accessible à un client non intégré qui est en concurrence avec ce fournisseur.
- Acquisition de clients ou de fournisseurs : l’acquisition d’un client ou d’un fournisseur dans le but d’empêcher l’entrée ou la participation accrue d’un concurrent dans un marché.
- Péréquation du fret : le recours à la péréquation du fret dans le but d’empêcher l’entrée d’un concurrent dans un marché.
- Marques de combat : l’introduction de marques de combat sélectives destinées à mettre au pas ou à éliminer un concurrent.
- Préemption de ressources : la préemption d’installations ou de ressources nécessaires à un concurrent.
- Achat de produits : l’achat de produits dans le but d’empêcher l’érosion des prix.
- Normes incompatibles pour des produits : l’adoption, pour des produits, de normes incompatibles avec les produits fabriqués par un concurrent.
- Exclusivité : le fait d’inciter un fournisseur à ne vendre uniquement qu’� certains clients, ou à ne pas vendre à un concurrent.
- Prix d’éviction : vendre des articles à un prix inférieur au coût d’acquisition de ces articles dans le but de discipliner ou d’éliminer un concurrent.
- Réponses sélectives : les réponses sélectives ou discriminatoires visant à entraver l’entrée ou l’expansion d’un concurrent sur un marché.
- Prix excessifs : l’imposition de prix de vente excessifs et injustes.
ii) Éventail des recours :6
- Le Tribunal peut rendre des ordonnances visant à :
- interdire la pratique d’agissements anticoncurrentiels ou un comportement;
- prendre des mesures directes, notamment, de se départir d’éléments d’actif ou d’actions, dans le but d’enrayer les effets de la pratique.
- Le Tribunal peut imposer des sanctions administratives pécuniaires s’il conclut qu’une personne s’est livrée à des agissements anticoncurrentiels qui empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence. La sanction peut atteindre 25�000�000 $ pour une première ordonnance et 35�000�000 $ pour les ordonnances subséquentes, ou trois fois la valeur du bénéfice sur lequel la pratique a eu une incidence, ou trois pour cent des recettes globales brutes annuelles de cette personne.
Lorsque des entreprises dominantes ont recours au contrôle de propriété, le Bureau mènera une enquête pour déterminer si ce contrôle exclut intentionnellement ou non des concurrents et réduit la concurrence. Si le Bureau conclut, à la lumière de tous les faits et éléments de preuve, qu’un contrôle de propriété d’un concurrent constitue une pratique anticoncurrentielle de la part d’une entreprise dominante, il peut demander des ordonnances correctives et possiblement imposer des sanctions administratives pécuniaires.
Sur la base des modifications susmentionnées, le Bureau a indiqué que les clauses restrictives utilisées par les entreprises dominantes seront presque toujours considérées comme des pratiques anticoncurrentielles et attireront l’attention du Bureau.7
2. Collaboration anticoncurrentielle : article 90.1 de la Loi
Le présent article s’applique aux accords qui ont des effets anticoncurrentiels importants, même s’ils n’impliquent pas directement des concurrents. Cette disposition fait en sorte que les entreprises ne peuvent pas se livrer à des pratiques qui restreignent injustement la concurrence, ce qui peut entraîner des prix plus élevés, une réduction des choix et une baisse de la qualité pour les consommateurs.
Tout comme dans le cas de l’article 79 ci-dessus, les modifications à la Loi ont également élargi l’éventail des recours disponibles en vertu du présent article :
i) Éventail des recours :8
- Le Tribunal peut :
- interdire à toute personne d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangement en question;
- enjoindre à toute personne � qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement � de prendre toute autre mesure, si le commissaire et elle y consentent.
- Si les recours susmentionnés n’auront vraisemblablement pas pour effet de rétablir la concurrence, le Tribunal peut ordonner la prise de mesures dans le but d’enrayer les effets de l’accord ou de l’arrangement sur le marché, notamment, de se départir d’éléments d’actif ou d’actions.
- Si une ordonnance est rendue en vertu de l’un ou l’autre des recours susmentionnés, le Tribunal peut imposer des sanctions administratives pécuniaires pouvant atteindre 10�000�000 $ pour la première ordonnance et 15�000�000 $ pour les ordonnances subséquentes, ou trois fois la valeur du bénéfice sur lequel l’accord ou l’arrangement a eu une incidence ou, trois pour cent des recettes globales brutes annuelles de cette personne.
En vertu de cet article, le Bureau peut cibler à la fois les locataires et les bailleurs qui sont parties à des accords contenant des contrôles de propriété anticoncurrentiels.
Situations dans lesquelles le contrôle de propriété d’un concurrent peut être justifié
Il apparaît évident que le Bureau a un objectif clair, alors comment cela affecte-t-il les contrôles des immeubles déjà en place et, s’ils sont si litigieux, pourquoi ont-ils été autorisés à l’origine?
- Dispositions d’exclusivité
Les entreprises de vente au détail comptent souvent sur un produit ou un service unique pour attirer les clients. Une clause d’exclusivité peut garantir que les activités d’un locataire ne soient pas compromises par l’ouverture d’une entreprise similaire dans le même immeuble par un concurrent. Par exemple, un petit café pourrait être éclipsé par un café d’une grande chaîne qui emménage à côté de celui-ci. Les clauses d’exclusivité sont également avantageuses pour les locateurs, en ce sens qu’un locataire prospère signifie qu’il respectera ses obligations locatives et qu’il pourrait même attirer davantage de clients pour les locataires voisins, ce qui améliorerait la qualité et la valeur de l’ensemble de l’espace commercial.
Cela peut devenir une question sur laquelle le Tribunal doit enquêter, dans les cas où une clause d’exclusivité est trop large et empêche des entreprises légitimes d’opérer et de profiter à la collectivité. Pensez à une grande épicerie ou à un magasin-entrepôt ayant un comptoir de vente d’aliments chauds, une pharmacie, un comptoir de loterie, une section florale et un coin de vêtements ou d’articles de maison qui exige une clause d’exclusivité interdisant à un locateur d’accepter d’autres locataires qui vendent des produits d’épicerie, des articles ménagers, des vêtements, du café, des fleurs, des produits pharmaceutiques, certains plats préparés, des billets de loterie, etc., pour la durée de leur contrat de location. Nous pouvons immédiatement voir comment cela empêcherait les plus petits acteurs de bonne foi d’entrer sur le marché et inciterait la collectivité environnante à ne compter que sur un seul magasin pour l’ensemble de ses besoins, magasin qui s’accaparerait ainsi une part disproportionnée du marché canadien des revenus.
En bref, les clauses d’exclusivité peuvent ne pas être justifiées si elles portent atteinte à la concurrence sur le marché canadien ou si elles empêchent de nouveaux investissements ou de nouvelles entrées au Canada.
- Clauses restrictives
Par le passé, ces clauses restrictives étaient inscrites sur le titre de propriété et ont été utilisées pour assurer le respect des normes, des conditions et des utilisations des immeubles. Les propriétaires et les promoteurs pouvaient imposer des clauses restrictives afin d’exiger des propriétaires et des locataires subséquents qu’ils respectent une certaine norme ou apparence dans une zone commerciale, ce qui empêcherait que des mesures qui pourraient dévaluer à la fois l’immeuble en question et les immeubles environnants soient prises. Par exemple, des clauses restrictives pourraient interdire à un atelier de mécanique, par exemple, d’ouvrir ses portes dans un complexe commercial en raison de l’aspect inesthétique de véhicules endommagés ou du risque accru de contamination du sol. Il est important pour l’urbanisme que les immeubles soient utilisés comme prévu.
Malheureusement, ce que nous avons vu plus fréquemment, c’est le recours à des clauses restrictives par d’anciens propriétaires pour imposer des restrictions d’utilisation aux futurs propriétaires. Revenons à l’exemple de l’épicerie ou du magasin-entrepôt ci-dessus. Si une grande épicerie avec tout ce qu’il faut possédait une propriété, mais la vendait pour ouvrir un magasin dans un complexe au bout de la rue, elle pourrait établir une clause restrictive pendant le processus de vente. La clause restrictive pourrait interdire l’utilisation future du terrain à l’une ou l’autre des fins générales susmentionnées pour une période indéterminée, avec des exigences contractuelles continues supplémentaires (c.-à -d. des accords de prise en charge pour les futurs propriétaires fonciers). C’est assez onéreux et, bien sûr, cela restreint de plus en plus la concurrence au fil du temps.
De façon générale, le Bureau a indiqué que les clauses restrictives seront considérées comme injustifiées sauf dans de rares cas, car elles sont intrinsèquement anticoncurrentielles.
Si vous êtes propriétaire foncier ou locateur et que vous utilisez l’un ou l’autre des contrôles des immeubles susmentionnés, c’est le moment idéal pour les passer en revue afin de s’assurer de leur conformité à la Loi. Nous recommandons fortement de consulter un avocat qui connaît bien ce domaine de pratique afin d’évaluer la nécessité, la durée, l’étendue et l’aire géographique des contrôles de vos immeubles pour éviter d’être frappé par des interdictions, des sanctions administratives ou d’autres mesures correctives visant à rétablir une concurrence équitable.
- Gouvernement du Canada : Le Canada a besoin de plus de concurrence dans le secteur de l’épicerie (Rapport de l’étude de marché sur l’épicerie de détail du Bureau de la concurrence)
- Gouvernement du Canada : Le Canada a besoin de plus de concurrence dans le secteur de l’épicerie (Rapport de l’étude de marché sur l’épicerie de détail du Bureau de la concurrence)
- Gouvernement du Canada : Lignes directrices sur l’abus de position dominante
- Loi sur la concurrence (L.R.C., 1985, ch. C-34), paragraphe 79(1)
- Loi sur la concurrence (L.R.C., 1985, ch. C-34), article 78
- Loi sur la concurrence (L.R.C., 1985, ch. C-34), paragraphes 79(2) et (3)
- Gouvernement du Canada : Les contrôles de propriété visant des concurrents et la Loi sur la concurrence
- Loi sur la concurrence (L.R.C., 1985, ch. C-34), article 90.1
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