Dans l’affaire Lehigh Hanson Materials Limited c. Sa Majesté le Roi1, la Cour canadienne de l’impôt (la « Cour ») a permis à la Couronne de modifier sa réponse dans le cadre d’un appel relatif au prix de transfert après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu2 ainsi que de la période d’obtention d’un allègement de la double imposition internationale en vertu de la convention fiscale conclue entre le Canada et le Royaume-Uni3. Les modifications visaient un ajustement du prix de transfert d’un article entièrement différent de celui visé à l’origine. Étonnamment, dans les circonstances, la Cour a déterminé que les modifications proposées à la réponse par la Couronne ne donneraient pas lieu à une injustice pour le contribuable dont les coûts ne seraient pas être indemnisables. Les modifications tardives apportées aux actes de procédure dans un appel en matière d’impôt sont normalement permises, mais seulement si l’autre partie ne subit pas une injustice ne pouvant pas être compensée par des dépens et si la modification sert les intérêts de la justice.
Résumé des faits
Les faits peuvent être résumés (et simplifiés) comme suit :
- Le contribuable est membre d’un groupe de multinationales. En 2009, le groupe a procédé à une réorganisation.
- Dans le cadre de la réorganisation de la société, le contribuable a acquis une participation dans une coopérative liée résidente des Pays-Bas (la « participation dans la coopérative ») auprès de la société mère résidente du Royaume-Uni du contribuable. Le contribuable a versé 1,75 milliard de dollars à la société mère résidente du Royaume-Uni pour une participation dans la coopérative. La contrepartie de 1,75 milliard de dollars était composée : i) d’une action du contribuable (l’action avait une valeur symbolique); ii) d’un paiement en trésorerie de 229 627 248 $; et iii) d’un billet à ordre non garanti portant intérêt (le « billet à ordre ») de 1,521 milliard de dollars.
- Le billet à ordre, d’une durée de 20 ans, portait intérêt au taux de 8,1 %. Le contribuable a déduit les intérêts payés sur le billet à ordre.
- L’Agence du revenu du Canada (l’Â� ARC ») a établi une nouvelle cotisation en vertu des règles sur les prix de transfert énoncées aux alinéas 247(2)a) et c)4 pour les années d’imposition 2009 à 2015 du contribuable, sur le fondement que la valeur de la participation dans la coopérative était inférieure d’environ 411 millions de dollars au prix d’achat de 1,75 milliard de dollars (le « problème d’évaluation »). L’ARC a procédé à cet ajustement du prix de transfert en réduisant de 411 millions de dollars le principal du billet à ordre (l’Â� ±ð³æ³¦Ã©»å±ð²Ô³Ù »), puis en refusant la déduction des intérêts attribuables à lâ€�±ð³æ³¦Ã©»å±ð²Ô³Ù.
- Le contribuable a demandé un allègement aux autorités compétentes du Royaume-Uni et du Canada, en vertu de la convention5, en raison de l’ajustement du prix de transfert relatif à la valeur du billet à ordre.
- En 2021, le contribuable a rejeté la proposition de règlement des autorités compétentes et, en juillet 2022, il a débuté son appel. La réponse de la Couronne a été déposée en novembre 2022.
- En janvier 2024, après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition en cause et du délai de trois ans pour demander un allègement aux autorités compétentes ainsi que du délai de six ou huit ans pour obtenir un ajustement du revenu en vertu de la convention et éviter la double imposition internationale, la Couronne a avisé le contribuable qu’elle modifierait sa réponse pour ajouter un argument ²õ³Ü±è±è±ôé³¾±ð²Ô³Ù²¹¾±°ù±ð à l’appui de la nouvelle cotisation établie.
- Selon cet argument ²õ³Ü±è±è±ôé³¾±ð²Ô³Ù²¹¾±°ù±ð, le taux d’intérêt de 8,1 % et la durée de 20 ans du billet à ordre ne reflétaient pas des conditions de pleine concurrence (la « question du taux d’intérêt »). La Couronne a précisé qu’elle ne cherchait pas à obtenir un impôt ²õ³Ü±è±è±ôé³¾±ð²Ô³Ù²¹¾±°ù±ð sur la base du nouvel argument, mais qu’elle appuyait seulement le montant de la nouvelle cotisation existante au moyen de motifs ²õ³Ü±è±è±ôé³¾±ð²Ô³Ù²¹¾±°ù±ðs. Les intérêts déduits sur tout montant excédant un taux de pleine concurrence seraient refusés. La Couronne n’a pas indiqué ce que serait un taux d’intérêt de pleine concurrence.
- La Couronne a déposé une requête pour autoriser le dépôt d’une réponse modifiée incluant la question des taux d’intérêt, à laquelle le contribuable s’est opposé sur plusieurs bases. La Cour de l’impôt a accepté la requête de la Couronne.
Criteria applicable to amending pleadings
La Cour a discuté de trois ensembles de critères qui sont pertinents pour déterminer si la Couronne devrait être autorisée à modifier sa réponse pour y inclure la question du taux d’intérêt. Premièrement, l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) permet de modifier un acte de procédure après la clôture des actes de procédure avec le consentement de toutes les autres parties « ou avec l’autorisation de la Cour, et la Cour en accordant l’autorisation peut imposer les conditions qui lui paraissent appropriées ».
Deuxièmement, selon le paragraphe 152(9), le ministre peut avancer un « nouveau fondement ou un nouvel argument » à l’appui d’une cotisation, après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Le ministre ne sera pas autorisé à le faire s’il existe des éléments de preuve pertinents que le contribuable n’est plus en mesure de produire sans l’autorisation du tribunal et qu’il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.
Ces deux dispositions donnent à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’examiner les circonstances ayant mené à la proposition d’arguments ²õ³Ü±è±è±ôé³¾±ð²Ô³Ù²¹¾±°ù±ðs et aux modifications correspondantes à une réponse afin de déterminer l’étendue du préjudice qu’un contribuable subirait, si des arguments ²õ³Ü±è±è±ôé³¾±ð²Ô³Ù²¹¾±°ù±ðs et des actes de procédure modifiés étaient autorisés.
Troisièmement, la jurisprudence énonce les principes qui régissent l’autorisation ou le rejet de nouveaux arguments et, par conséquent, l’autorisation de modifier l’acte de procédure. La Cour a pris note de ce qu’on appelle la « règle générale » permettant de modifier les actes de procédure énoncés dans des affaires telles que Canderel c. R.6:
... la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.
Les tribunaux se sont montrés disposés à permettre la modification d’une réponse de la Couronne et l’inclusion de nouveaux arguments7. Toutefois, un tribunal n’autorisera normalement pas la modification d’une réponse ou l’inclusion d’un nouvel argument, si la modification ou l’argument ajoute une nouvelle opération plutôt qu’un autre fondement ou argument concernant les opérations déjà visées par la cotisation. Ce principe se retrouve dans des affaires comme Walsh c. La Reine8, qui présente d’importantes restrictions à l’autorisation de nouveaux arguments en vertu du paragraphe 152(9) :
[18] Les conditions suivantes sont applicables lorsque le ministre veut invoquer le paragraphe 152(9) de la Loi :
- Le ministre ne peut pas inclure de transactions non comptées dans la nouvelle cotisation du contribuable.
- Le droit du ministre de proposer un autre argument à l’appui d’une cotisation est assujetti aux alinéas 152(9)a) et b), qui ont trait au préjudice causé au contribuable.
- Le ministre ne peut pas invoquer le paragraphe 152(9) pour établir une nouvelle cotisation au‑delà du délai prévu au paragraphe 152(4) de la Loi ou pour percevoir un impôt dépassant le montant de la cotisation contestée.
Motivations de la Cour
La Cour a accepté la requête de la Couronne visant à modifier sa réponse, ajoutant la question du taux d’intérêt au problème d’évaluation existant et concluant que le contribuable ne subissait pas de préjudice.
Le principal argument avancé par le contribuable était qu’il subirait un préjudice non indemnisable parce que la question du taux d’intérêt était ajoutée après le délai de 6 ou 8 ans pour l’obtention d’un allègement de la double imposition internationale en vertu de la convention, et que, par conséquent, il était privé de la capacité de demander l’aide des autorités compétentes en ce qui concerne la question du taux d’intérêt.
La Cour a rejeté cet argument au motif que le nouvel argument de la Couronne n’instaurait pas de nouvelle double imposition :
[TRADUCTION] [38] En conclusion, sur ce point, je rejette que le fait d’autoriser le dépôt de la réponse modifiée entraînerait une « injustice » découlant de l’incapacité de l’appelant à demander maintenant aux autorités compétentes un allègement de la double imposition. La réponse modifiée proposée n’instaure pas à elle seule de nouvelle double imposition. Et comme il a déjà été mentionné, l’appelant avait déjà demandé aux autorités compétentes de traiter la même double imposition, dans le contexte du problème d’évaluation de la participation dans la coopérative, l’appelant ayant en fin de compte refusé la solution de compromis proposée par l’autorité compétente canadienne, maintenant ainsi le scénario de double imposition avant d’interjeter appel.
Cette conclusion est étonnante. Les échanges antérieurs du contribuable avec les autorités compétentes reposaient sur l’unique fondement initial de la nouvelle cotisation de l’ARC � le problème d’évaluation � selon lequel la valeur de la participation dans la coopérative aurait dû être inférieure de 411 millions de dollars à ce que le contribuable et sa société mère résidente du Royaume-Uni avaient convenu. Il est tout à fait possible que les échanges avec les autorités compétentes et les résultats auraient été différents si les discussions avaient porté sur les deux questions : le problème d’évaluation et la question du taux d’intérêt.Étant donné que la Couronne a ajouté la question du taux d’intérêt après la période d’obtention de l’allègement des autorités compétentes, le contribuable a été irrémédiablement privé de la possibilité de résoudre la question du taux d’intérêt par l’intermédiaire des autorités compétentes. Il est difficile de comprendre comment des dépens peuvent compenser la privation de ce droit.
Le tribunal a conclu que l’opération pertinente est la même pour les deux arguments9 (le problème d’évaluation et la question du taux d’intérêt), mais un autre point de vue est possible. Dans le cas du problème d’évaluation initialement visé par la nouvelle cotisation, l’opération pertinente était l’achat par le contribuable de la participation dans une coopérative auprès de sa société mère liée résidente du Royaume-Uni. Aux fins du nouvel argument, soit la question du taux d’intérêt, l’opération pertinente est la convention relative au billet à ordre lui-même. Bien qu’il soit vrai que la convention relative au billet à ordre soit commune aux deux questions, cela ne revient pas à dire que l’opération pertinente était la même pour les deux questions. Des éléments de preuve différents auraient été présentés à l’égard de la question du taux d’intérêt. Comme il a été mentionné précédemment, Walsh indique que l’ajout d’un nouvel argument en vertu du paragraphe 152(9) ne devrait pas donner lieu à l’inclusion d’une nouvelle opération.
En effet, l’un des autres arguments que le contribuable a soulevés pour s’opposer à la requête de la Couronne visant à modifier sa réponse était que les modifications proposées n’aideraient pas la Cour à déterminer la véritable question en litige, laquelle, selon le contribuable, était la juste valeur marchande de la participation dans la coopérative et non le taux d’intérêt ou la durée du billet à ordre. C’est un argument fort. L’ajustement figurant dans les actes de procédures initiaux consistait à refuser la déduction des intérêts sur la partie du billet excédant la juste valeur marchande rajustée de la participation dans la coopérative.Aucun autre ajustement n’était apporté. Par conséquent, le taux d’intérêt et la durée du billet à ordre n’étaient pas litigieux avant que la Couronne ne demande à modifier sa réponse.
La Cour était en désaccord avec le contribuable, affirmant que la question sous-jacente était de savoir si les intérêts « ±ð³æ³¦Ã©»å±ð²Ô³Ùaires » (attribuables à la réduction de la valeur du billet à ordre) étaient déductibles. En d’autres termes, selon la Cour, il s’agit d’une question de prix de transfert concernant la déductibilité des intérêts, de sorte qu’il importe peu, pour déterminer si la Couronne peut modifier sa réponse, que le fondement du refus de la déduction des intérêts soit la juste valeur marchande de la participation dans la coopérative ou le taux d’intérêt ou la durée du billet à ordre. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, on pourrait facilement imaginer que les éléments de preuve nécessaires pour étayer le prix de pleine concurrence lié au problème d’évaluation pourraient être très différents de ceux requis pour étayer les conditions de pleine concurrence liées à la question du taux d’intérêt.
Appel en cours
Le contribuable a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale de l’ordonnance de la Cour permettant que soit modifiée la réponse10. Dans son avis d’appel, le contribuable a allégué que la Cour a fait une application erronée du paragraphe 152(9) et de la convention et que la Cour a erré en déterminant qu’il n’y aurait pas de préjudice ne pouvant être compensé par des dépens.
Il sera intéressant de voir si la Cour d’appel fédérale sera d’accord avec l’analyse de la Cour quant à savoir si le fait d’autoriser le nouvel argument et la modification de la réponse de la Couronne donne lieu à une injustice pour le contribuable qui ne peut pas être indemnisé, ainsi que les commentaires, le cas échéant, de la Cour d’appel fédérale quant à savoir si, en demandant de modifier sa réponse, la Couronne tentait d’inclure une nouvelle opération.
- Dossier de la Cour de l’impôt no 2022-1895(IT)G, ordonnance et motifs de l’ordonnance datée du 20 décembre 2024.
- Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi de l’impôt »). À moins d’indication contraire, tous les renvois législatifs sont des renvois à la Loi de l’impôt sur le revenu.
- Convention entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et les gains en capital, modifiée par le Protocole signé le 15 avril 1980, le Protocole signé le 16 octobre 1985, le Protocole signé le 7 mai 2003 et le Protocole signé le 21 juillet 2014 (la « convention »).
- Les règles sur les prix de transfert énoncées aux alinéas 247(2)a) et c) permettent à l’ARC d’ajuster le montant ou la nature des montants d’une opération selon des conditions de pleine concurrence, lorsque l’ARC détermine qu’un contribuable et une personne non-résidente ayant un lien de dépendance ont effectué une opération selon des modalités différentes de celles qui auraient été conclues entre des personnes sans lien de dépendance.
- Convention, paragraphe 9(3) et article 23.
- Canderel c. R., [1994] 1 C.F. 3, au paragraphe 9.
- Par exemple, voir TPine leasing Capital Corporation c. Canada, 2024 FCA 83, au paragraphe 18; Forest Fibers Inc c. La Reine, 2013 CCI 402, au paragraphe 21.
- Walsh c. La Reine, 2007 FCA 222.
- Lehigh Hanson Materials Limited, paragraphe 58.
- Dossier A-425-24 de la Cour d’appel fédérale.
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